La barriére et le niveau

9782130575313
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Goblot, Edmond PUF, 90 pgs. « Publié en 1925, La Barrière et le Niveau fait partie de ces œuvres majeures qui ont exercé une influence souterraine très puissante sur la sociologie française de l’éducation et de la culture des années 1960-1970. Écrit par un philosophe des sciences, épistémologue et logicien, Edmond Goblot (1858-1935), le livre n’a presque jamais été cité par les sociologues qui se sont pourtant approprié ses schèmes interprétatifs, son langage, et parfois même sa tonalité critique. Ce n’est donc que justice que de rappeler la dette contractée à l’égard de ce travail lumineux. En lisant Goblot, les sociologues ne pouvaient manquer d’y trouver un soutien dans leur entreprise de déplacement du regard scientifique de l’économique vers le symbolique. Pour ce philosophe, en effet, les différences de richesse économique ne suffisent pas à différencier les classes sociales. Ce sont les (“bonnes”) manières de voir, de sentir et d’agir dans les différents domaines de l’existence (dans l’ordre du langage ou du geste, dans le comportement en société comme dans le choix du vêtement, du logement ou du mobilier) qui font de la bourgeoisie ce qu’elle est en tant que classe dont les privilèges ne sont pas donnés à la naissance. Cette dernière installe donc des barrières entre elle et les classes subalternes qui sont légalement franchissables et continuellement franchies, lui imposant ainsi l’invention régulière de nouveaux obstacles pour tenir les autres classes à bonne distance. Goblot porte aussi sur les classes sociales un regard de logicien. Dans l’ordre des “jugements de valeur” qui circulent dans la vie sociale, il voit à l’œuvre une mystique proche de ce que L. Lévy-Bruhl désignait sous le nom de “mentalité prélogique”. Les jugements collectifs, et tout particulièrement les “jugements de classe”, n’ont rien de très rationnel ou de très logique. Ils relèvent d’une magie sociale qui repose le plus souvent sur des associations infra-conscientes. Quant aux signes extérieurs de richesse culturelle ou économique, ils agissent comme des “nuages d’émotions” qui empêchent de voir les individus avec un regard objectif. Derrière l’analyste perspicace, pointe le critique social ou le moraliste qui rêve, de toute évidence, d’un monde où les différences sociales ne se fonderaient que sur le talent et le mérite personnels. À ses yeux, la bourgeoisie a fait historiquement un pas dans la bonne direction mais ne s’approprie du savoir, de la culture et de la morale que ce qui peut lui être utile dans sa stratégie de reproduction ou de maintien des différences sociales. Les sociologues de l’éducation et de la culture des années 1960-1970 révoqueront en doute l’idéologie méritocratique comme l’idéologie du don naturel, mais ils n’en auront pas moins bénéficié, et nous comme eux, du réseau d’argumentations sociologiquement pertinentes condensé dans La Barrière et le Niveau. » (B. Lahire)